Platitudes. Mensonges. Il n’est pas question d’espoir, ni de paroles vaines. La main qui serre la sienne tremble, le regard qui croise le sien perd peu à peu l’éclat qui l’habite et elle n’y peut rien. L’homme perd peu à peu son combat, le stade quatre l’ayant atteint il y a deux jours signe déjà sa fin. Sa peau a une teinte verdâtre, malade. Il souffre, énormément, injustement. Wanda glisse sa main dans ses cheveux trempés par la sueur avant d’effleurer de ses doigts la joue du mourant. Elle ressent en elle cette tristesse éphémère et ferme les yeux. L’homme, Christian, a toujours voulu vivre au Mexique, près de la plage, sous le soleil et où seul le bruit des vagues s’empare du silence. Son plus grand rêve aurait été de fonder une famille, d’avoir de nombreux enfants avec son ancienne petite-amie, une dénommée Stéphanie. Alors c’est ce qu’elle lui offre. Il n’est plus allongé sur un lit de fortune dans un appartement mal entretenu. Il ne souffre plus, ne s’inquiète plus de la misère que lui a apporté sa mutation. Il est au bord d’une plage, assis à même le sol. À côté de lui, Stéphanie berce leur dernier né, chantonnant une douce mélodie. Près de l’eau, ses deux fils tentent d’éviter les vagues, de sauter par-dessus ces dernières pendant que leur grande sœur ramasse des coquillages.

L’instant est précieux, unique et même s’il se rend compte que ce n’est que fantaisie, Wanda ne ressent pas le moindre désir de revenir au présent. C’est ainsi que la main serrant la sienne lâche prise, que les yeux enfoncés fixent le vide. Quand elle ouvre enfin les yeux, son regard brouillé de larmes qui ne coulent plus depuis bien longtemps, Christian sourit. Apaisé dans ses derniers instants, heureux.

Elle ignore combien de temps elle reste là, à observer ce visage livide, ces lèvres aux teintes noirâtres. Quand elle quitte la pièce, les membres de l’homme sont glacés, son corps ayant eu le temps de se refroidir durant de longues heures. Sharon est assise au sol, lève à peine le regard entendant la porte se refermer. Pourtant les deux jeunes femmes s’adresse un brève sourire. Sharon sait quand quelqu’un va mourir et en connaissance de cause, elle contacte Wanda pour rendre la fin plus paisible. La Sorcière Rouge sait, au plus profond d’elle, que tout ceci ne l’aide pas. Au contraire, tout ceci l’enfonce un peu plus. Chaque mort, chaque sentiment de désespoir se mêle aux siens et lui nouent chaque jour un peu plus la gorge. Néanmoins, elle n’arrive pas à garder ses distances, elle ne peut tout simplement pas s’y résoudre.

Dehors, le soleil brille, les gens se baladent dans les rues, profitent d’un après-midi ensoleillé sans se soucier de ce qui se passe dans l’ombre. Wanda reste au milieu du trottoir pendant de longues minutes, à observer cette insouciance, cette négligence. L’enfant qui la frôle ne pense qu’à acheter des bonbons avec l’argent de poche qu’il vient de recevoir. Innocent. Ce constat l’éloigne de cette colère grandissante. Englouti par la culpabilité de telles pensées. Ils n’y sont pour rien, ni plus ni moins que les moutons qui suivent le berger. Ses pas la ramènent petit à petit vers la tour des Avengers, vers son appartement, celui qu’elle ne partage plus avec Vision. Bien avant qu’elle ne s’attarde sur cette notion, un sentiment soudain, profond et tranchant l’arrête brusquement. Son cœur s’emballe et elle agit de manière machinale. Ses pas l’emmènent dans un petit café qui n’est pas encore bondé au vue de l’heure, son regard se pose immédiatement sur la source de cette angoisse. Elle l’a ressent bien trop, comme si c’était la sienne alors que la jeune femme est encore à quelques mètres d’elle. Plus tard, en analysant la situation, elle se rendra compte qu’elle perd le contrôle de sa télépathie. Pour l’instant, tout ce qui l’importe est de réduire à néant ce sentiment désagréable, d’atténuer la panique ressentie et par la même occasion la mutation qui s’en voit guidée. Wanda s’avance d’un pas décidé, les regards des deux humains assis à la table voisine se détournent de la mutante, de sa tasse maintenant gelée. La brune sent l’énergie s’échapper de la paume de sa main, un fin éclat rougeâtre à peine perceptible pour l’œil humain parcours les esprits du café. Tous. Sans exception. C’est avec surprise qu’elle le constate, car elle n’avait pas voulu apaiser toutes les personnes ici présente, seulement une. Encore un écart, mais une erreur sans grandes conséquences.

Tout cela se déroule en l’espace de quelques minutes seulement, jusqu’à ce qu’elle arrive à la table d’Eve. Peut-être que cette dernière risque de la chasser, peu aiment qu’on puisse ainsi tempérer leurs émotions. Ou peut-être que ce sera la contraire. Peut-être qu’elle ne verra pas la mutante qui est rentré dans ses pensées, qui a maitrisé ses émotions, mais la personne qui a voulu aider par l’intrusion. « Je peux m’asseoir ? » Lui demande-t-elle malgré tout, l’énergie de sa magie hex parcourant encore les esprits les entourant. Une présence, rien de plus, apaisante et non contraignante.

Émotions simples, complexes et refoulées. Tout va très vite, chaque bribe d’émotion défile à grande vitesse. Ne reste pas suffisamment longtemps pour que Wanda puisse tout en comprendre. L’esprit permet à la perception du monde, aux morales qu’on s’impose et au jugement qu’on porte aux autres. Ce qu’elle ressent est un besoin viscéral, liberté, désir, indépendance. L’homme qui l’avait manipulé, maltraité, abusé. Ses craintes, ses doutes et ses démons les plus noirs. Vient alors cette affreuse constatation, une présence, une nouvelle vie, réduite elle aussi à néant. Trou béant. Le cœur de Wanda se serre, semble rater plusieurs battements. L’innocence volée qui arrive encore à s’immiscer dans cette vie déjà si tourmentée. Souvenirs enfuit que la mutante ne peut effleurer, ne sachant même pas qu’ils sont là, loin dans son subconscient. Et ce désir brûlant de briser le mur de glace qui protège l’esprit de cette vérité. Cruel qu’est la douleur, pourquoi doit-elle souffrir pendant qu’Eve oublie ? D’une telle injustice que l’énergie se concentre sur le mur de glace, avant que sa gorge ne se noue et qu’elle voit l’aura blanc, tel le tapis de neige en hiver et l'innocence des enfants.

Son nom de code résonne dans l’esprit de l’autre mutante. Scarlet Witch. C’est ce qui permet à Wanda de brider soudainement ses aptitudes télépathiques, ayant été trop loin dans l’esprit de la jeune femme. Bien qu’elle quitte ce dernier brusquement, Eve n’en ressent rien. Cela fait bien trop d’années qu’elle s’inquiète du bienêtre des autres pour leur laisser la désagréable sensation qui suit un usage maladroit de ses capacités. C’est-à-dire une migraine, plus rarement un étourdissement. Alors qu’elle prend place face à Eve, Wanda peut enfin observer le regard de cette dernière. C’est autre que dans les souvenirs qu’elle a vu défiler, parfois peu précis. Un tel regard envoûtant qui cache l’hiver au beau milieu du printemps. Si elle ne se dérange pas au froid, n’ayant pas grandi sous le soleil, elle s’inquiète un instant pour les humains les entourant. Quelques frissons ne leur feront pas de mal pour autant.

« Pas de sauvetage du monde aujourd’hui ? » Bien qu’elle ait sondé son esprit, ressenti ses émotions, la brune est étonnée que Snow lui adresse la parole. Elle qui était prête à lancer la discussion, ou même à rester là sans rien dire. Ce n’est pas dans les normes sociales prévue par la société de s’installer dans le silence, mais la société ne veut pas d’eux, alors rien ne les oblige à en suivre les règles. Pensées interdites. « Il n’a pas toujours besoin de nous. » Répond-elle d’une voix douce en posant son regard sur la table voisine. Sous la table, à l’abri des regards, aussi celui de la mutante, Wanda rappelle à elle l’énergie qui parcours la salle. Il y a deux semaines encore, elle n’aurait dû y penser pour y arriver. Les temps changent et la maladie la gagne. En temps normal, elle n’aurait pas risqué s’approcher de la mutante, craignant bien trop ce facteur de contagion. Mais aurait-elle pour autant reprit sa route en ignorant la peur ressentie ? Jamais. Si un jour quelqu’un comprend à quel point Wanda est inconsciente quand elle pense pouvoir aider son prochain, il sera aisé de la piéger. C’était ce genre de choses qui exaspéraient Pietro.

Un autre fait dont elle n’a plus conscience, c'est l’éclat rougeâtre qui s’est emparé de ses iris alors qu’elle rappelait sa télépathie à elle. Il s’évapore dès que les flux d’énergie disparaissent et qu’elle reporte son attention sur l’autre mutante. Plus d’une minute s’est écoulée, ses précautions prennent du temps, sans doute un geste inutile aux yeux de le Reine des neiges. Wanda a pu déceler ses sentiments envers les homo sapiens et pense donc connaître la réponse. « Parfois, c’est à trop vouloir contrôler quelque chose qu’on en perd justement la maîtrise. » La peur qu’elle avait pu ressentir, celle de cette jeune femme à la mutation intrigante, Wanda ne la connait que trop bien. Peut-être la mutation est-elle différente, mais au fond, chacun souhaite savoir se contenir quand la raison échappe et se mêle aux émotions. Elle pose ses mains devant elle, sur la table, ses doigts s’effleurant. « Panda. » dit-elle un sourire au coin, avant de fixer la tasse avec intérêt. « C’est l’émotion que j’associe avec cet animal que j’ai partagé. » Calme et tendre. Ô, un panda n’est pas un gros bisounours comme on aimerait nous le faire croire, mais quand elle voit cette boule de poils, tout comme avec un ourson ou un koala, elle se sent sereine. C’est la première chose qui lui est venu à l’esprit en ressentant l’angoisse et le froid se croiser sur un chemin escarpé. « Il suffit d’une image, d’une pensée pour oublier le reste, c’est facile dès qu’on sait suffisamment le visualiser... » Hésitation, silence qui s’installe entre quelques mots le temps de trois cillements de paupières. « Si tu veux, je peux te montrer comment faire. » Elles ne sont pas différentes, outre un regard sur l’humanité qui l’est complètement. Presque le même âge, traumatismes d’enfances et surtout perte d’un enfant, pensée sur laquelle elle ne s’attarde nullement. Cependant pour lui montrer, elle doit pouvoir effleurer sa conscience et ce n’est pas une chose qu’elle fait d’habitude sans en demander la permission.

Eve fait partie de ceux qui reprennent la guerre là où d’autres l’ont commencé. Qui suivent, parfois aveuglément, une cause qu’ils croient comprendre alors qu’elle les dépasse. Wanda n’en sait rien, elle lit les émotions plus facilement que les pensées et les jugements qui y sont attachés. Elle a autant vu ces souvenirs qu’elle ne les a ressentis. S’est heurté à ce mur de glace qui protège Eve, inconsciemment mais directement. De toutes les informations qui lui sont parvenues, c’est celle qui l’a le plus marqué, le plus affecté. Par sa puissance, car beaucoup sous-estiment la douleur qu’on éprouve en perdant une partie de soi. Mais aussi parce que ce sentiment, cette souffrance, Wanda ne la connaissait que trop bien. Malgré tout ce qu’elle a pu voir et toucher du bout des doigts, elle ne peut lui affirmer que cette crainte disparaîtra un jour. Il n’y a pas de solution miracle, peut-être suffit-il de gagner en assurance. Si c’est cela, elles en manquent toutes les deux cruellement.

Si elle ne comprend pas d’abord pourquoi Eve sourit, elle peut facilement le voir quand une forme se dessine sur la table. Le regard de la sorcière rouge se pose immédiatement sur la petite création, fixée, envoûtée presque par telle beauté. C’est magique, comme l’une de ces choses qu’on voit enfant et qu’on croit incroyable sans en comprendre la technique. Elle a presque envie de le toucher, ce tout petit panda qui semble si réel bien qu’il soit créé à partir d’un élément qui n’a pas sa place en cette période de l’année. Bien qu’elle-même soit capable d’influencer l’esprit pour créer des illusions, rien ne semble pouvoir comparer à cette petite merveille. « Certaines personnes sont faites pour protéger, d’autres pour détruire. On n’est jamais que nos erreurs passées, que le résultat de nos travers. » Voilà ce qui risque devenir le début d’un débat. Personne n’est fait pour rien, tous naissent de la même façon, tel une page blanche sur laquelle il faut encore écrire au moins une centaine de lignes. La petite créature n’est plus, les particules la formant l’abandonnent et l’image se brise. Pourtant ce n’est pas ce qui attriste Wanda. Mais plutôt le ton d’Eve, le sens de ses paroles. Le monde est mauvais, elle le sait et aimerait croire qu’il ne s’agit que d’un cauchemar. Toutefois, la réalité est cruelle, façonnée par la volonté de l’humanité. Ce mot qui n’a plus son sens. Ils font tous l’erreur de croire que le passé définit le présent, le futur. Viennent alors un jour où ils se rendent compte à quel point ils ont tous torts. « Rien n’est écrit, rien n’est définit. Nous pouvons apprendre de nos erreurs ou au contraire les ignorer. C’est une question de choix et aucun n’est bon ou mauvais. » Chaque erreur a ses conséquences. Mieux vaut pourtant choisir et en faire que vivre une vie monotone, sans but, sans avenir.

« Pourquoi est-ce que tu veux sauver un monde qui a peur de toi ? » Son attention se reporte aussitôt sur Eve. Cette question semble anodine, la réponse la plus aisé, celle qui coule de source, est que sauver le monde équivaut à sauver des vies. Et tout le monde devrait être capable d’en faire autant, ça ne devrait être ni une tâche, ni un fardeau. Pourtant Wanda s’interroge depuis quelques semaines. Ça n’a rien de surprenant, après les évènements en Sokovie, il lui a fallu un peu de temps pour se décider. Elle n’a pas toujours voulu être dans cette position, à prétendre vouloir sauver le monde entier. Et quand la conséquence d’une telle décision fut de perdre son jumeau…  Sa mâchoire se serre, ses pensées se perdent. Pietro aurait été un bon Avenger, il se serait bien entendu avec le reste de l’équipe et aurait certainement apporté sa touche personnel à cette dernière. Quant à Wanda… Elle n’est pas certaine d’encore pouvoir leur apporter quelque chose pour le temps qui lui reste. « Ce n’est pas le monde qui nous craint. » Eux, non pas d’autres mais seulement eux. Mutants. « Ce sont les hommes qui l’habitent. Certains plus que d’autres. Et c’est ceux-là qu’il faut combattre. » Il n’est pas utile de préciser que les autres devrait être de ceux qu’on protège, de ceux à qui une donne une chance, une vraie. Peut-elle seulement le comprendre ? Oui. L’aura de la jeune femme est blanche, effet de sa mutation qui annonce sa présence, s’impose dans toute sa puissance. Si Wanda peut y voir des reflets, c’est seulement parce qu’il n’en existe aucune qui n’en a pas. Une soudaine envie d’enfuir ses mains dans les poches de son gilet gris, réconfort refusé, geste contré. Ses membres semblent parfois écouter son cœur déchiré et non la raison qui l’habite. Elle incline légèrement la tête, écoutant une mélodie qu’elle seule peut entendre. Souvenir qui n’est pas le sien et qu’elle venait de ressentir en rentrant dans ce café, en apaisant les âmes errantes qui viennent s’abreuver. « Si un humain perdait demain la vie pour sauver le tienne, ça ne changerait pas ton opinion sur eux. Mais tu auras pu constater que certains sont fondamentalement bons, surmontent leurs craintes et décident de nous faire confiance là où d’autres laissent la peur guider leurs décisions. Oserais-tu prétendre que tu n’y réfléchirais pas à deux fois, si tu venais à te trouver dans pareille situation ? »

Wanda n’est pas naïve, loin de là. L’innocence lui a été enlevée à l’âge de dix ans, lorsqu’elle dû attendre deux jours pour mourir. Le monde est pourtant cruel, bien plus encore qu’il ne l’a été avec les jumeaux Maximoff. Certains enfants n’ont jamais connu le moindre bonheur, seulement la douleur. La haine et le mépris. La colère et la rage qui finit par en naître. Ils n’ont pas eu à se plaindre, ils étaient à deux, deux face au monde, contre tous. Comme les trois mousquetaires. D’autres sont seuls, abandonnés, livré à eux-mêmes alors qu’ils ont encore tant besoin d’être guidé. C’est pour tout ça que Wanda a voulu se battre, s’améliorer et se maîtriser. Pour une cause à ses yeux noble plutôt que juste. Et aujourd’hui, l’ironie du sort, c’est elle qui voudrait ne jamais avoir fait ce choix. Ne jamais avoir eu à la faire alors que le passé reste inchangé. Ce n’est ni la maladie ni la raison qui parlent, seulement la dépression dont elle souffre depuis plusieurs semaines. Rencontrer des gens comme Snow pourrait éventuellement la rediriger vers le droit chemin. Malheureusement, ce dernier finit au bord d’une falaise et le virus l’oblige à s'avancer sans jamais se retourner. Un chien enragé qui risque de la dévorer si elle s’arrête, de la déchiqueter si elle tente de rebrousser chemin. Choix non limité mais totalement ôté. Pourrait-elle seulement apporter son aide à la mutante ? Ne risquait-elle pas de vouloir trop lui faire comprendre, au point de l’étouffer, de la repousser dans ses opinions ? La vérité est toute autre, bien plus sombre, car elle craint que ce ne soit pas elle qui pourrait convaincre mais plutôt être celle qui finirait convaincue. Mais de quoi précisément ? De la suprématie mutante ? Jamais. Cela voudrait dire que des milliers, non, des millions d’innocents perdent la vie sans pouvoir se défendre. Et pourtant.

« Aucun être humain ou aucun mutant ne sacrifierait sa vie pour sauver la mienne. » Constatation alarmante. Le regard de Wanda se fait plus persistant, car elle ne peut croire que personne ne se bas-monde ne soit prêt à donner sa vie pour sauver celle d’Eve. Tous ont au moins un ami, un proche, un lien de sang ou même une connaissance prête à le faire. Toutefois, nous n’en avons pas toujours conscience. Comprendre les sacrifices qu’une personne est prête à faire dans votre seul intérêt, ce n’est aussi facile que ça en a l’air. Vu les émotions précédemment ressentie, la sorcière rouge sait que Snow garde ses distances. Consciemment, pour se protéger autant qu’elle souhaite protéger les autres. Mais les morts qui ont croisé son chemin n’ont pas atteint leurs fins par leur simple rencontre. Sauf qu’elle ne peut le voir, pas encore. Le bois qu’elle effleure du bout des doigts change de texture, devient glacial, et c’est la surface de la table qui se voit recouvert de givre. Ses yeux s’écarquillent, principalement parce qu’elle n’est pas arrivée à ressentir Eve user de ses capacités. Ce satané virus lui dévore toute conscience de soi, anéanti le peu de maîtrise qu’elle a. « Je dois sortir. » Lui dit-elle subitement. Un geste de la main et la glace disparaît. Snow se lève et sort précipitamment alors que Wanda cligne plusieurs fois des yeux. Cette fuite est en toute part contradictoire avec les pensées de la mutante et alors que la Maximoff sait qu’elle ne devrait pas, elle se lève à son tour pour la rejoindre à l’extérieur. Ce n’est qu’en sortant qu’elle remarque réellement la différence de température. Le contraste est tel que c’est maintenant que sons corps réagit, la chair de poule qui se dessine sur ses bras, le frisson qui lui parcourt l’échine.

« Il fallait être stupide pour venir là. » Paroles prononcées sur un ton qu’elle comprend. Trop. Wanda se tient près d’Eve et elle pose presque sa main sur l’épaule de son interlocutrice, se avant de changer d’avis. Elle ne devrait déjà pas être si près, le virus est une maladie dont le seul remède est la quarantaine, un sentiment de culpabilité l’envahit car elle ne devrait ni être ici, ni ailleurs. Si ce n’est une cellule de quatre mètre sur quatre. « Tu as su y rentrer et y commander un café sans problème, c’est peut-être peu à tes yeux mais chaque pas est une victoire. » Il semblerait que les discours encourageant de Clint et Steve soient eux aussi contagieux. Non pas qu’elle soit très douée pour en faire, avec Pietro les choses avaient toujours été faciles, son jumeau lui faisant aveuglement confiance.

Raison pour laquelle elle s’en était tant voulu, fût un temps. Wanda laisse le temps à Snow de se reprendre en main, peut-être même de contrôler sa mutation, elle ne pourrait le savoir en restant loin de ses pensées et de ses émotions. Dès qu’elle croit que ça va mieux, suffisamment pour que la rue ne se transforme pas en patinoire, même si secrètement ça l’amuserait énormément, Wanda l’invite à la suivre. Elles partent en direction opposé de la tour Avengers, déjà visible entre les autres grattes-ciels. « Il y a plus d'un an de ça j’aurais été dans la même situation que toi. La seule différence c’est que ce n’est pas le café qui en aurait été la première victime. » Si elle emploi un tel mot, c’est bien pour souligner le fait qu’il n’y en a eu aucune aujourd’hui. Que malgré la puissance de sa mutation, Snow n’avait fait que geler une simple boisson chaude et baissé la température de quelques degrés. Elles ne peuvent spéculer sur ce qui aurait pu avoir lieu sans l’intervention de Wanda, mais alors même qu’une telle intrusion aurait pu mener à la simple violence, il n’en fût rien. Tout ça est positif, encore faut-il le voir de la même façon. « On fait tous des erreurs, c’est à nous de ne pas les répéter. Mutants et humains. Mais les gens sont généralement enclins à suivre la masse. Et les brebis égarées deviennent des moutons noirs. » Elles ne marchent pas bien longtemps, deux rues, voilà la route effectuée pour arriver devant une énorme pierre. Un mémorial, pour être plus précis. Et le premier détail qui frappe n’est pas ce qui est écrit sur ce dernier, mais les fleurs qui y sont encore déposées. Quatre longues années se sont écoulées depuis l’attaque des Chitauri et pourtant des gens pensent encore à ceux qui n’ont pas survécu, qui n’ont pas pu fuir ou mieux se protéger.

« As-tu vu ce qu’il s’est passé ce jour-là ? » Son regard se pose une nouvelle fois sur Eve, curieux, ne connaissant la réponse à cette interrogation mais sachant qu’elle a au moins dû en voir les dégâts.

S’il y a bien une émotion que chaque être a déjà ressenti, peu importe s’il s’agit d’un simple animal, d’un humain ou d’un mutant, c’est bien la peur. Sentiment qui les relie tous tôt ou tard. Certains apprennent à en devenir maître, d’autres y succombent et se laissent anéantir. L’un n’exclut pas l’autre et c’est, après le chagrin, l’émotion la plus difficile à vaincre. « J’ignore encore ce que je peux vraiment faire.. » Aveu auquel elle ne s’attend pas. Il n’y a pourtant pas de mal à l’admettre mais toutes deux ne font pas partie du même camp, ne devraient peut-être pas se faire de telles confidences en sachant qu’un jour elles se retrouveront au milieu d’un combat sans réelle issue. Cela donne presque envie à Wanda de vérifier si elle ne parle pas à une confrériste, pourtant elle n’en fait rien, préfère même ne rien savoir. Là où Snow sait presque tout d’elle, merci les médias et plateformes en tout genre, Wanda pourrait prétendre ne rien savoir. Illusion peu utile, elles se connaissent toutes les deux très bien tout en étant des inconnues. Une des raisons qui poussent la jeune femme à vouloir tendre la main à l’autre. Gentillesse débordante, même un enfant serait plus méfiant.

Alors qu’elle voir la réflexion s’afficher sur le visage de la mutante, Wanda se demande si son absence de la tour ne s’étire pas trop. Il ne manquerait plus que Vision ou Clint ne s’inquiètent de trop et se lancent à sa recherche. L’idée n’a pas le temps de parcourir ses pensées que les paroles d’Eve l’interpellent. « Même les Avengers sont des moutons noirs. Un jour, ceux que vous défendez vous accuseront, vous haïront pour ceux que vous n’êtes pas assez nombreux pour sauver. Un jour ils voudront vous enfermer, vous faire payer la nature de ces pouvoirs que vous mettez au service de leur sécurité. » Propos défaitistes, sans espoirs. Le cœur et l’âme en peine, l’esprit tourmenté qui ne sait se décider. Et le cœur qui se serre une nouvelle fois, car Wanda sait qu’elles partagent toutes deux des souffrances pourtant si différentes. Elle inspire profondément, fait disparaître l’émotion qui lui serre la gorge et l’empêche de raisonner ses propres pensées. « Je voudrais pouvoir te dire que ça n’arrivera jamais. Mais ce serait mentir. Oui, un jour leur incompréhension les mènera à faire cette erreur. Mais j’aime espérer que parmi eux, il y en aura d’assez courageux pour plaider notre cause et nous défendre comme nous continuerons à le faire pour eux. » Elle sait à quel point cela peut sembler ridicule, être prêt à défendre ceux qui viendront les persécuter à leur tour. « Ce n’est pas parce que quelqu’un te tourne le dos que tu dois en faire autant. Et ça peut paraître insensé et dangereux ou au contraire porter ses fruits. » La loyauté est un véritable défaut en ce cas présent, car c’est ce qui empêcherait Wanda de se retourner contre les humains, même si ces derniers venaient à lui planter un couteau dans le dos. Si plusieurs millions viennent à les détester, il y en aura toujours des millions d’autres pour les aimer. Le monde et les gens l’habitant ne peuvent se définir en noir et blanc, c’est impossible, irréel. Certains estimeront la sorcière rouge naïve, auront peut-être raison, d’autres pourront déjà y voir la menace représentée par un espoir qui se verra piétiné.

C’est pour cette raison qu’elle veut savoir si Eve se souvient de ce jour où le monde a cru arriver à sa fin. « J’étais à l’Institut Xavier.. » Évidement. Wanda a aperçu quelques souvenirs de la X-mansion qu’elle-même connaît assez bien. Mais ce n’est pas ce qui l’empêche de poursuivre sa pensée. Non. C’est l’aura d’Eve qui échappe à tout contrôle, du coin de l’œil Wanda peut déjà voir le sol geler, trop vite. Tout est trop soudain. Sa réaction est immédiate, tout comme avant son interruption dans le café. Ce n’est pas autant la télépathie qui lui cause problèmes mais l’ensemble de ses dons psioniques et elle est incapable d’affirmer si c’est à cause du virus ou de son état émotionnel plus qu’instable. La preuve en est, alors que les fleurs se forment, magnifique créations qui se peignent dans le décor, Wanda ressent les émotions d’Eve. Des images défilent à nouveau, des sons différents allant de simples paroles au chant mélodieux d’un oiseau, des sensations étranges et familières qui s’immiscent dans chaque cellule de son corps. L’angoisse revient, le désespoir d’une existence perdue aux méandres d’un monde froid et distant. Colère et crainte se mélangent, laissent un goût amer. Le paysage dessiné sans avoir été imaginé, fleurs maintenant figées dont les délicates pétales risquent de ne pas supporter le retour à la réalité.

L’énergie se cumule dans les paumes de ses mains qu’elle sort des poches de son gilet, le courant rougeâtre envahit l’espace qui sépare les deux mutantes, qui les entoure et qui les dévoile aux yeux du monde. Mais la brume s’arrête à une dizaine de mètres d’elles, trouve fin dans l’air qu’elles respirent et crée une illusion aux yeux de toutes et tous autour d’elles. Aux yeux du monde, il n’y a que deux silhouettes qui s’entretiennent devant le mémorial, sans mutation, sans le froid et le givre qui s’installe. Au lieu d’empêcher la cryokinésiste d’extérioriser ce dont elle ne se rend pas compte, Wanda décide de piéger les autres. Humains et mutants n’y voient à présent que du  feu. Les prunelles de Wanda ont pris une teinte plus foncée et elle se contente alors d’attendre qu’Eve sorte de ses pensées. Quand elle en revient enfin, elle souffle un mot que Wanda peine à entendre, submergée par tout ce qui disparaît derrière cette immensité glacée, une larme s’échappe alors même qu’un sourire se peint sur ses lèvres. Elle s’accroupit et sa main se pose à même le sol, la brume d’énergie qui les entoure s'épaissit d'avantage. « C’est magnifique. » C’est tout ce qu’elle trouve à dire, telle beauté ne pouvant être décrite d’avantage et elle veut que Snow comprenne que pour elle, le froid, la glace, la neige et même le givre qui sont toutes des manifestations de sa mutation sont une merveille en ce monde.

Ce matin, Wanda avait pleuré. Non pas en se souvenant de son frère, de son ventre qui s’arrondissait un peu plus chaque semaine. Une tranche de pain lui avait échappé et s’était écrasée au sol, fatalité qui l’avait attristé. Signe d’une dépression, quand le moindre échec aussi futiles puisse-t-il être devient un obstacle à surmonter. Ça ne l’avait pas empêché de sortir, de s’incomber des pensées douloureuses d’un mourant qui aurait tant souhaité vivre encore un peu. Si seulement elle pouvait échanger sa vie pour celle d’un autre, permettre à une âme heureuse de le rester pendant que son cœur déchiré s'anéantit totalement. Cœur qu’elle voulait arracher de sa poitrine tant il l’a fait souffrir. Ce n’est qu’un muscle entre d’autres et pourtant Wanda a mal, jour et nuit, nuit et jour. Cette rencontre lui permet de l’oublier, de passer cette souffrance en arrière-plan et de se concentrer sur autre chose.

« La mort n’a rien de magnifique. » Il lui faut s’abstenir de tout commentaire, car aujourd’hui pour elle, seule la mort l’est encore. Si elle s’éblouit devant le spectacle que lui a offert Eve, ce n’est que parce qu’au fond, elle a toujours été ainsi. À voir le monde pour mieux qu’il ne l’est, à en oublier la beauté éphémère. « Peux-tu sauver ces fleurs ? » Ce besoin de sauver le monde, cette envie de lui dire que c’est elle qu’elle aimerait sauver. Oui, Wanda aimerait aider Eve à voir que le monde n’est pas aussi cruel qu’il en a l’air. Que le bien et le mal dansent depuis des millions d’années autour des flammes, se brûlant parfois avant de s’apaiser. Est-elle seulement en état de le faire, d’être cette personne qui tend la main à une autre pour l’aider à mieux se porter ? Non. Trois lettres qui résonnent dans l’esprit tourmenté, vérité qui ne laisse place aux mensonges crées. « Oui. » La mutation de Snow est aussi belle que dangereuse, l’empêche d’être proche d’autres êtres vivants sans risquer de les atteindre éternellement. Une solitude pesante et qui trouve son début au pied du mur de glace, image qui se peint encore plus quand Eve fait disparaître le givre, le froid laissant place à la dure réalité. Les fleurs précédemment colorées et bien vivantes ne le sont plus. « Les Avengers vont te chercher. » Le sourire qui se dessine est plus triste que joyeux, oui, Vision va s’inquiéter et la voix qui habite les murs va bientôt tracer son portable, peut-être même sa signature thermique ou son visage entre les milliers qui courent les rues.

Wanda arrive à attraper la larme gelée qui s’évapore sous la pression d’une énergie palpable. Son dernier geste consiste à redonner vie aux fleurs, à leur permettre de retrouver leurs couleurs, la beauté qu’elles représentent quelques jours seulement. Au lieu de ça, les courants d’énergie disparaissent autour des deux mutantes et se concentrent soudainement dans la paume de sa main. Une lueur bien trop puissante, les fleurs présentement brûlées, réduit en cendres. Wanda a un mouvement de recul, finit presque assise sur le sol mais arrive à se relever brusquement. La panique qu’elle ressent doit se lire sur son visage avant de disparaître, un sourire forcé prenant rapidement place là où la grimace s’était installée. « Tu vois, ça nous arrive tous. » Justification inutile, on ne peut prétendre qu’elle ne sait pas rapidement retomber sur ses pieds. « Au revoir, Snow. » Involontairement, elle se permet de fuir plus aisément, le temps semblant s’arrêter autant qu’il s’accélère et ses pas la menant rapidement loin du mémorial, loin de la mutante. Et à l’opposé de la tour Avengers, car la sorcière rouge ne peut y retourner quand la magie gagne ses pensées.