La fatigue commençait à se faire sentir. Steve avait compris depuis un moment qu’il n’était plus le surhomme qu’il était : le virus s’était insinué sous sa peau, dans ses veines, jusque dans chaque fibre de son corps. Il dissimula un bâillement en entrant dans l’ascenseur de la Tour Avengers après avoir rangé sa moto à son emplacement. Il atteignait ses limites de plus en plus vite, et il ne pouvait pas faire grand-chose contre ça. Pour avoir une chance de s’en sortir, il n’y avait pas trente-six solutions : soit il allait défoncer la porte de chez Magneto, soit il attendait que Banner ou Strange ne trouvent un antidote. En attendant, il ne pouvait faire que ronger son frein, ruminant et se lamentant sur ses capacités extraordinaires qui, peu à peu, le fuyaient.

Il arriva à l’étage où se trouvait son appartement et sortit dans le couloir sans vraiment regarder qui il pouvait bien croiser. La Tour n’était pas exactement déserte, même s’il était assez rare de croiser des gens à cet étage-là. Steve ne vit personne et alla directement dans la salle de sport. Ce n’était pas parce qu’il était malade qu’il devait arrêter de s’entraîner tout court !

Il enfila des gants de boxe, et comme à la bonne époque, se mit à frapper son sac pour s’y défouler. Comment faire pour trouver une porte de sortie à la situation inextricable dans laquelle il était ? Captain America devait se rendre à l’évidence : il était totalement impuissant. Peut-être devait-il monter une expédition jusqu’à Genosha ? Mais ne serait-ce pas égoïste de le faire surtout parce qu’il était atteint, lui aussi ? Jusqu’où allait son altruisme ? Il se trouvait soudainement indigne de son uniforme, de son titre et de son bouclier. Sans ses pouvoirs, il ne serait plus rien. Tony avait eu raison, ce jour-là : il n’était qu’un rat de laboratoire et tout ce qui le rendait spécial pouvait le lui être retiré. Allait lui être retiré, même. Ce n’était plus qu’une question de temps.

Le sac vola à l’autre bout de la pièce. Steve marmonna un juron, se croyant seul : il n’était pas aussi poli qu’il voulait bien le faire croire, et s’il y avait quelque chose qu’il avait bien rapidement rattrapé, c’était les mœurs du XXIème siècle. Il savait qui il devait remercier pour ça.

– Fait chier… !

Il grogna, souffla un bon coup, et se retourna. Il avait pensé être seul, oui… mais il s’était lourdement trompé.

Non ! » Il se redressa dans un sursaut, repoussant sa chaise roulante et ne parvenant pas à la rattraper. Son équilibre était chancelant et il ne comptait plus que dessus, en vain. Il tomba par terre, assis, bêtement. Tu parles d’un réveil. Sa respiration était agitée et ses yeux exorbités, ses tempes humides. Et il tremblait. Le génie mit un moment avant de revenir doucement à la réalité. Quand ce fut le cas, il baissa les yeux et poussa un long soupir, passant ses mains sur son visage et se massant les tempes. Un cauchemar, ce n’était rien qu’un cauchemar, rien d’autre. Mais il avait été particulièrement réaliste et avait eu l’emprise sur les craintes et les démons de Tony – pour changer tiens.

Le brun se redressa finalement tout en tirant la chaise vers lui afin de s’y rassoir. Stark prit un moment pour lui et s’accouda à son bureau en se massant lentement les temps pour se détendre et tenter d’effacer malgré lui les images de son esprit. C’était Ultron – encore – c’était sa vision – encore – c’était ce futur possible qu’il ne pouvait ignorer, même avec les évènements actuels. Quand son esprit se plaisait à prendre tout ceci et les rassembler dans un unique cauchemar, Tony ne dormait jamais bien. Plus depuis un moment. Ce futur lui prédisait qu’il ne pourrait pas protéger ses teammates et que ce serait de sa faute, qu’il ne ferait pas assez pour les protéger. Cela était les mots de Steve et ils demeuraient ancrés dans sa tête tout autant que l’image du Captain qui rendait la vie. Et par sa faute, des gens étaient morts sous le feu d’Ultron. Parce que son entêtement à vouloir protéger les siens avait été plus fort que sa prudence. Des innocents l’avaient payé de leur vie.

Il se leva brusquement et allait pour prendre la bouteille de bourbon et le verre vide à sa gauche mais s’arrêta en plein chemin. Cela le démangeait. Boire. Se souler pour oublier le temps de quelques heures. Se soulager. C’est bien la définition d’un alcoolique, il en avait terriblement envie. Mais c’était également la raison pour laquelle il n’en avait pas le droit. Ce n’était pas en se soulant à mort qu’il pourrait protéger ses co-équipiers, au contraire. Alors il se força et serra les dents en se détournant de son bureau.

Le génie voulut s’occuper l’esprit en se mettant à travailler sur un autre projet mais il lui semblait que c’était bien raté pour aujourd’hui. Lui qui avait la capacité de créer tout à partir de rien ou presque, était incapable de faire quoique ce soit. Il fallait qu’il se détendre. Il sentait ses muscles plus crispés les uns que les autres. Et sa tête pensait trop, beaucoup trop, il lui fallait de la compagnie et son IA n’en était pas vraiment une malgré ce qu’il aimait penser. Ou bien juste taper sur quelque chose. Ça faisait du bien aussi. Si Tony avait chaque semaine une séance box avec son ami Justin Trudeau, ces derniers temps cela se faisait plus rare. En effet le premier ministre canadien était bien occupé avec tout ce qu’il se passait à travers le monde, gérant ses propres mutants infectés. Cet homme avait toujours été plus sympathique que la plupart des autres politiciens et c’est pourquoi Tony l’appréciait bien. « Friday, est-ce que… » Il poussa un soupir en jetant à moitié son tournevis sur son bureau. « Je vais à la salle de sport. » « Pas de soucis Tony, j’enregistre les données du projet Star B. Mais tu devrais savoir que le Captain Rogers vient de rentrer à la tour et il semblerait qu’il soit arrivé avant à la salle. » Son ton était presque amusé mais Tony ne le releva pas.

Il avait posé son épaule contre le pan de l’entrée, sur le seuil, les bras croisés et regardait la porte bannière étoilée donner ses coups. Cela avait quelque chose de reposant en quelque sorte. Observer quelqu’un d’autre faire l’effort pour soit. Néanmoins, à force de l’observer, Tony ne put s’empêcher de remarquer cette légère faiblesse, fatigue ? peut-être. Il n’était pas sûr. Mais qui était-il pour juger l’état physique de Captain America ? Il aimait à penser qu’il n’y avait rien à craindre.

Le génie haussa un sourcil en voyant le sac voler. « Language. » Ce n’était pas souvent qu’il jurait, mais même si Tony le trouvait parfois trop ‘’parfait’’ et se plaignait, l’entendre jurer n’était pas forcément quelque chose d’agréable. Il s’humecta les lèvres et se détacha du mur pour s’approcher en décroisant ses doigts. « Navré, je n’espionnais pas. Promis. » A peine. Tony haussa les sourcils, le visage bas et alla plutôt chercher un autre sac l’air de rien. « Je t’ai connu plus énergique, Cap. Celui-là a tenu plus longtemps que d’habitude, on se ramollit ? » Il blaguait, riant légèrement avec sarcasme, ne se doutant pas que c’était plus sérieux que ça. Il attacha – non sans un certain effort – le sac et se plaça derrière pour le maintenir, lui faisant signe d’une main pour qu’il poursuive. Mais Tony fronça les sourcils. Pourquoi est-ce qu’il avait l’impression qu’il y avait quelque chose de pas si normal dans la fatigue de Rogers. Une fatigue derrière l’essoufflement, une inquiétude derrière ces sourcils, une colère impuissante crispée le long de ses bras. Un instant, Tony s’inquiéta. « Steve ? »

Steve sursauta. La voix de Tony l’avait surpris entre deux coups de poing, arrêtant son mouvement en plein air. Il se retourna en soufflant, et posa un regard bien plus las qu’il ne voulait bien l’admettre sur l’ingénieur. Il aurait voulu avoir assez d’humour pour sourire, ne serait-ce qu’un peu, à la boutade lancée par Tony, mais elle faisait écho à une autre scène, d’un autre temps. Pour Steve, cela lui paraissait soudainement très distant, comme s’il s’agissait d’une autre vie. Le souci, c’est qu’il avait déjà beaucoup trop vécu à son goût.

Tony ne savait pas encore pour le virus, mais il n’était pas stupide : il finirait bien par additionner deux et deux et parvenir au résultat redouté. Steve n’était déjà plus ce qu’il avait été, en témoignaient cette respiration haletante et cet air fatigué sur son visage. Il n’avait pas perdu de temps à remarquer que le sac était encore en bon état. En trop bon état.

– Ou alors j’ai changé de fournisseur.

Ouais c’est ça, continue à essayer de sauver les apparences. Steve détourna le regard, s’éloignant du sac pour venir s’asseoir sur un des bancs de la salle de sport.

Impossible de louper l’inquiétude qui résonnait dans la voix de Tony, mais comment l’affronter ? Steve continuait à fuir, qu’il le voulait ou non, et c’était indigne de lui. Sa condition physique le dépassait : au-delà du pauvre Steve qui perdait tout ce qui faisait de lui un super héros, il y avait Captain America qui mourait lentement, s’effritant de l’intérieur, les dommages bien cachés par son uniforme coloré. Sans sa force, sans son endurance, il n’était plus rien. Juste un gamin de Brooklyn.

– Tu sais…

Comment pouvait-il lancer le sujet ? Hé salut Tony, au fait, tu sais cette maladie de merde dont on n’a pas le remède, bah je l’ai, allez, on se fait un petit combat !? Ouais, non. Désemparé, Steve se prit la tête dans les mains et souffla à nouveau.

– Ça va toi ?

Stratégie d’évitement bien peu subtile, mais sur un malentendu, ça pouvait marcher. Si seulement Tony pouvait coopérer et ne pas chercher la petite bête… Ou si, qu’il le fasse justement ! Attaqué de toute part par des questions, peut-être que Steve se trouverait le courage d’annoncer la terrible nouvelle...

En le voyant s’assoir, Tony ne sut s’il avait déjà vu le captain dans un état physique pareil. Ou bien était est-ce mental ? Il ne saurait le dire. Mais il voyait bien que quelque chose n’allait pas, même s’il le niait. Steve avait été pour Tony un temps ce qu’il était au reste du monde aujourd’hui. Un espoir. Quand il était gosse, qu’Howard le bassinait avec ses histoires sur le héros de l’Amérique. Le petit garçon avait vu en lui un héros, une vraie figure. S’il passionnait tant son père, peut-être que s’il s’y intéressait un minimum, Tony aurait l’attention du padre Stark. C’était sa dernière chance d’avoir un peu d’amour de sa part. Mais même cela, cela n’avait pas fonctionné, c’était même pire et Tony s’était alors mis à le détester. Parce qu’Howard vivait avec ses démons, le fantôme de Rogers, et Tony n’était rien à ses yeux. Jusqu’à ce que le génie ne découvre pourquoi que lorsqu’il l’avait rencontré en personne. Il était chiant, certes. Mais il avait l’espoir. Et en cet instant, Tony ne pouvait que voir le héros de son enfance… faible. Les héros ne sont jamais faibles, n’est-ce pas ?

Il ne répondit pas à sa rétorque, lâchant plutôt le sac pour s’approcher de quelques pas, penchant la tête sur le côté en plissant les yeux. Tony le laissa commencer sa phrase mais il ne la finit jamais. « Je sais quoi ? » Il croisa les bras sur sa poitrine, n’étant pas réellement sur de ce qu’il avait en face de lui. Quand Rogers soupirait, c’était loin d’être bon, Tony le savait, tout comme le reste de la team.

« Ça va. » mentit-il machinalement à sa question.  « Je dormirais mieux dans un lit, mais il semble que je n’arrive jamais à l’atteindre, ahah… » Il nota cependant la tentative de fuite. « Mais ne change pas de sujet. Qu’est-ce que c’est ? » Insista-t-il, fuyant lui-même la propre question. Il y avait plus important que lui. Cap avait toujours été plus important que lui ou qu’un autre membre de la team. Ça aussi, les autres en avaient conscience. « Ne m’oblige pas à te tirer les verres du nez. Je demanderais l’aide de Friday s’il le faut. » Sourit-il à moitié.

Tony lui laissa du temps et prit plutôt ses gants de combat. Il s’assit sur le banc perpendiculaire à l’autre pour les mettre avec précaution, prenant tout de même son temps. « Un ami de guerre qui est parti avant toi ? » Il tentait ce qu’il pouvait, avec les informations qu’il avait, le regard se perdant sur ses mains pour enfiler ses gants. « Tu t’es fait plaqué ? … Par peu importe qui c’est avec qui tu traines. Je peux aller la frapper si tu veux, je crois que Natasha me rejoindra volontiers. » Le génie se lécha les lèvres une fois ses gants enfilés et releva le regard vers le blond en soupirant. « Si j’étais idiot, je dirais que tu es malade, vu la sale tête que tu tires… Maaaaais… C’est pas possible, right ? Le sérum, tout ça, j’avais lu, le dossier. » Oh Tony... Il était passé un rien à côté, à côté de faire le rapprochement lui-même. La fatigue était peut-être plus présente qu'il ne le pensait ? Son envie à ce que les choses soient biens et pas dramatiques. Son positivisme - pour une fois - le rendait aveugle à la réalité.

Le brun finit par se lever, décidé à lui changer les idées. Il s’approcha et posa son poing sur son épaule pour le pousser. « Aller big guy, j’vais te mettre k.o. et te remettre les idées en place un peu. »

Ouais, les héros n’avaient jamais aucune faiblesse, c’était bien connu. Steve était bien placé pour le savoir, lui qui avait survécu pendant des dizaines d’années, protégé dans les glaces polaires. Désormais, il n’était plus sûr de pouvoir réitérer un tel exploit ; non, il le savait, très clairement même. La seule inconnue était la manière dont il allait pouvoir l’annoncer à Tony.

Steve tenta de gagner du temps en s’intéressant à son interlocuteur : sa capacité à travailler jusqu’à l’épuisement resterait toujours source d’admiration autant que d’inquiétude pour le soldat. Tony n’avait même pas l’excuse des modifications génétiques, donc d’une certaine manière, il était plus méritant que Steve lui-même. Quoi qu’on en dise, même sans son armure, Iron Man restait Iron Man. Pouvait-on en dire autant de Captain America ?

Le piètre subterfuge de Steve ne tint pas longtemps face à la perspicacité de Tony. Ce dernier revint sur le sujet initial, menaçant même de quémander l’aide de Friday. Cette perspective fit sourire tristement Steve : que pourrait y faire une IA, même aussi élaborée que Friday ? À moins que justement, il n’ait peur qu’en recoupant toutes les informations, Friday ne parvienne à un diagnostic plus précis encore, et définitif celui-là. Il était irresponsable : il aurait dû contacter le Dr Banner pour faire des tests.

Garder le silence n’était pas la meilleure des solutions face à Tony, puisque c’était l’inviter à faire des suppositions toutes plus farfelues les unes que les autres. Jusqu’à tomber, peut-être par hasard, peut-être pas, sur la véritable raison du coup de mou de Steve.

— Tu sais bien que j’ai pas le temps de flirter…

Les idées de Tony fusaient si vite qu’il ne pouvait répondre à chacune (et surtout pas à la dernière), alors il se raccrocha comme il put. Mais il ne pouvait s’en tirer aussi facilement, aurait-on dit. Tony le poussa doucement du poing en le provoquant amicalement, ce qui n’eut d’autre effet sur Steve que de lui déchirer un peu plus le cœur. Il ne croyait pas si bien dire quand il émettait l’idée de le mettre K.O….

— Je suis pas sûr de gagner si on combattait, là tout de suite… Tony…

Steve s’affaissa, contemplant ses mains tremblantes, luttant contre une émotivité à laquelle il n’était pas familier. Il n’avait plus le choix, il fallait bien que ça sorte, un jour ou l’autre.

— Je sais bien que t’es pas médecin, mais on pourrait voir avec Bruce, ou Dr Strange… je… Je crois bien que je suis malade.

Impossible pourtant ? Et si c’était possible (avec la carte Kiwi…), si le virus qui le consumait n’était autre que Legacy.

Mais pourquoi nier, Stark ? Quand tu sais que c’est inévitable. Quand tu le sais, que tu t’en doutes, mais que tu ne veux pas le voir parce que ça fait juste mal. Il avait nié Stane, sa trahison, il l’avait reçue en pleine face et son mentor était mort aujourd’hui. Il avait nié son amour pour Pepper pendant des années et des années et ils avaient perdus un temps extrêmement précieux. Il avait refusé de voir qu’Iron Man le faisait plus que vivre, qu’en réalité il aimait le héros de titane et que même s’il aimait énormément Pepper, il ne pouvait pas abandonner à sa demande ce qui l’aidait à se racheter et lui donnait plus de motivation qu’autre chose. Et il l’avait perdue, elle était partie le laissant la poitrine ouverte et sans défense. Il avait refusé de voir qu’il pouvait alors disjoncter et faire des erreurs, il avait nié qu’il n’allait pas bien, que la rupture avait plus de conséquences qu’il ne voulait bien le voir. Et Ultron était né, de son erreur, de son déni, de son cœur brisé et de ne pas pouvoir protéger le monde. Mais protéger le monde de Tony Stark n’était pas une variable qu’il avait vu venir dans l’équation.

« Tu dis ça comme si tu gagnais toujours… Bon ce n’est pas totalement faux, mais – » Il ne voulait pas voir le manque de réaction du Captain, il ne voulait pas le voir s’affaisser et encore moins voir ses mains trembler. Il ne voulait pas voir l’homme qu’il considérait comme le plus "immortel" qu’il ait jamais connu se soumettre à la faiblesse. Oh oui, ils avaient eu de durs combats et cette fatigue due à l’effort physique était normale, Tony s’y faisait très bien. Mais c’était différent. Pas à l’entrainement. Cap les battait tous à l’entrainement. Enfin… Sauf Natasha, de temps en temps. « Mais c’est pas grave, au pire, je gagnerais – » « Je crois bien que je suis malade. » Tony fronça les sourcils mais ne s’arrêta pas de parler, c’était quelque chose qu’il faisait souvent. Ça l’aidait à se focaliser sur les informations qu’on lui donnait, à les enregistrer. « – pour une fois hein, je peux bien gagner. Ça changera. » Il voulait rire mais il ne le put, concentré sur ce qu’il venait de dire. « C’est absurde. » rétorqua-il en le regardant et grimaçant d’incompréhension. Arrête de nier, abruti. Il perdit son sourire en le fixant toujours.

Et c’est là qu’il laissait la place au génie, se figeant sur place, se réfugiant dans son saint-royaume un instant pour déglutir, ne devenant qu’un mur de glace insensible qui ne laissait trahir aucune expression. Une façon de se protéger de la peine, en somme. Il ne pouvait techniquement pas tomber malade. C’était génétiquement impossible. Le sérum le protégeait de ces dangers-là. Tony le savait, il avait lu les dossiers, le rapport d’Erskine caché dans les fichiers d’Howard. Il savait ce qu’il était possible de lui faire ou non. Et tomber malade n’était pas possible. Sauf si… Il fallait qu’il s’en assure.

Tony fronça les sourcils et ne quitta pas son état de réflexion intense, enlevant un gant pour le jeter plus que le lâcher par terre. Il la posa sur le front de Rogers et fronça encore plus les sourcils. Il se recula puis pencha la tête sur le côté. « Démangeaisons ? Nausées ? Migraines ? » Stark secoua la tête et se lécha les lèvres. « Friday. » Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes – bien trop longues – pour scanner Rogers. Il l’avait créé plus empathique que JARVIS ceci dit. Parfois il regrettait. « Tony… » « Dis-le. » marmonna-t-il les dents serrés à s’en faire mal, fixant toujours Rogers, le visage fermé mais qui trahissait une colère et une impuissance sourde qui montaient rapidement. « C’est bien le virus Legac – » Elle n’eut pas le temps de finir que Tony fit volte-face et frappa dans le sac à plusieurs reprises, le visage déformé par la frustration. C’était la mauvaise main ceci dit, celle sans le gant.

Il y mit bien toute sa force, ne s’arrêtant qu'en sentant que ça commençait à piquer. Il s’arrêta, le bras tremblant et détendit sa main, les phalanges étant devenues rouges, et la peau sur les premières s’étant effritées pour laisser passer un peu de sang, rien de bien méchant. Il était faible. Faible. FAIBLE STARK. Tony ferma les paupières, impossible d’ignorer la vision de Wanda, mais encore plus les mots de son père, ancrés en lui depuis son plus jeune âge, avec les deux gifles qui allaient bien avec et l'haleine d'Howard qui puait l'alcool. « Les Stark sont fait de fer. Ils ne pleurent pas. Les larmes sont faites pour les femmes. Pour l’amour de dieu soit un homme ! Va chercher à boire et ne revient pas tant que tu ne pourras pas te contrôler ! » Il ne voulait pas spécialement pleurer, il se haïssait juste, d'être faible, de ne pas avoir su éviter ça.

Tony pouvait bien essayer de faire comme si de rien n'était, comme si tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais Steve saurait toujours que c'était faux. Cette attention, ce réflexe de se murer dans un déni illusoire toucha énormément Steve, qui ne put s'empêcher de trouver la situation encore plus cruelle. S'ils voulaient vraiment se rendre service, ils devaient affronter toute l'horreur de la réalité en face.

Il secoua doucement la tête, laissant à Tony le temps d'assimiler l'information. Il en appela même à Friday, mais l'IA n'était pas assez stupide pour ne pas savoir qu'au fond de lui, Stark avait déjà compris. Il voulait une confirmation extérieure, un avis froid, honnête et tranché sur la question. Oui Tony, c'était bien Legacy.

La première réaction d'Iron Man fut d'user de ses poings sur le sac, jusqu'à s'en faire mal. Steve releva la tête et protesta mollement : il ne méritait pas qu'on se fasse du mal pour lui.

— Tony... Arrête, s'il-te-plaît...

Il hésita un temps avant de se lever, ne sachant pas comment serait pris ses gestes dans un tel moment, et puis il se résigna. Il n'allait pas regarder Tony s'effondrer sans rien faire, d'autant plus quand il était la source de tout ce désarroi. Steve se leva et s'avança vers Tony. Le voir aussi fragile et vulnérable avait paradoxalement contribuer à rendre Steve plus fort. Ce dernier se planta, droit comme un i et fit résonner sa voix grave. Son ton était ferme, sans pour autant manquer de douceur, comme à chaque fois qu'il s'adressait à quelqu'un qui lui était cher.

— Tony. Personne ne sait encore, mis à part toi, et Friday, mais de toute façon, mon plan ne change pas. Que je sois malade ou non, ça ne rend pas les agissements de Magneto plus ou moins égoïstes. J'irai chercher ce remède, comme je pensais déjà le faire , et je ne le ferai pas pour moi mais pour tous les autres malades.

Et maintenant venait le moment que Tony aurait sûrement du mal à entendre, autant que Steve aurait du mal à le prononcer : mais comme le dard d'un insecte, il faut bien l'arracher pour que ça cicatrise.

— Et si j'échoue, je sais que tu le feras à ma place. Tu es un héros Tony, un héros qui se suffit à lui-même...

Merde, il se créait même ses propres super vilains, c'est dire !

— Tu n'as pas de capacités surhumaines à perdre ou de gène X à préserver. Tu es Iron Man, avec ou sans armure.

Steve était persuadé que Tony l'aiderait dans sa quête, et le cas échéant, la mènerait à bien; dût-il le faire en portant le corps de son ami au passage.

Tony avait beaucoup trop d’affinités avec la mort. D’abord Howard et Maria, peut-être les morts qui le faisaient généralement le plus souffrir même s’il le cachait plutôt bien. Puis Jarvis bien des années plus tard, l’homme qui avait été une meilleure figure paternelle qu’Howard et un véritable ami pour Tony. Mais le majordome n’avait pas eu le temps d’être fier de lui, la maladie et la vieillesse avaient eu raison de lui. Puis Yinsen, Obi, Coulson, Maya et très récemment Peggy. Oui Peggy Carter, la marraine de Tony qui avait toujours été là pour lui et avait tenté dans sa jeunesse de remonter l’estime qu’il avait de Captain America à travers des récits, des histoires de guerre, elle qui l’avait bien connu. Alors oui, Tony souffrait de perdre encore quelqu’un, son héros d’enfance, le genre que l’on croit immortel. Mais… Aujourd’hui c’était son frère d’armes, son co-équipier. Mais c’était bien Steve qui était son ami. Il était intolérable de le perdre. Néanmoins le simple fait qu’il y ait une bonne chance suffisait à faire douter Tony, de lui, de ses capacités. Il n’était qu’humain parmi optimisés et mutants après tout.  

Il rouvrit finalement les yeux en sentant Steve se lever et s’approcher. Comment sa présence arrivait-elle à chasser ses démons ? Il ne connaissait pas la réponse à telle question, mais Tony avait toujours trouvé cela fascinant. La façon qu’il avait d’imposer silence par sa prestance sans même le vouloir. Stark leva le regard vers lui, ne bougeant pas malgré le ton qu’il employait. C’était dans sa nature de ne pas plier le dos et de ne pas se soumettre.

Le génie écouta, mais détourna le regard à moitié pour réfléchir à moitié ennuyé. Oh oui Magneto allait partager qu’il le veuille ou non. Il n’était pas question de risquer plus de vies simplement par égoïsme. Il se tut cependant, fixant un point invisible sur le côté, les bras croisés sur sa poitrine, car quelque chose dans le ton de Cap lui disait qu’il n’avait pas terminé de parler. Et en effet. Il fronça les sourcils. Et si j’échoue. Tony secoua la tête et son visage se crispa. « Pardon ? » Un rire nerveux lui échappa. « Nah, ce n’est pas une option. Tu viendras chercher leur vaccin, avec nous. Les autres seront sûrement de la partie. Tu n’as pas idée de ce qu’ils sont prêt à faire pour te sauver la peau, ce que chacun est prêt à faire. » Ce qu’il était prêt à faire.

Il soupira et le fusilla du regard sans réellement le vouloir. « Je t’interdis de parler comme ça, tu m’entends ?! » Il recula la tête dans un léger tic. « Il n’y aura aucune tombe à ton nom. » Il secoua la tête et souffla pour reprendre un ton plus calme. « Je ne suis pas un héros, Cap. Pas après Ultron. Je me suffis à moi-même oui, mais je ne suffis pas au reste du monde. Ils n’ont pas besoin de moi. » Tony le pointa du doigt. « Ils ont besoin de toi. On… a tous besoin de toi. »

Chez Tony, le déni avait un amer goût de déjà-vu. Steve soutint son regard alors qu’il refusait d’admettre que Captain America était mortel, que sous le costume, il n’y avait qu’un corps avec un cœur qui battait et qui pouvait s’arrêter à n’importe quel moment. Steve Rogers n’était plus aussi invincible, et il n’y avait pas d’autre choix que de l’admettre. Il inspira un grand coup avant de détourner le regard.

Tony pouvait bien lui parler des sacrifices que les « autres » étaient prêts à faire, ça ne changerait rien à son sentiment profond : Steve était celui qui se sacrifiait, pas l’inverse. C’était lui qui se jetait sous les balles, qui attrapait les grenades au vol, c’était lui le bouclier. S’il n’était pas capable de protéger ceux qui croyaient en lui, il n’avait plus de raison d’être. Si le virus n’avait pas atteint son identité profonde, il avait sérieusement égratigné le personnage de Captain America.

— Je ne veux pas savoir ce qu’on serait prêt à faire pour moi. Je ne demande rien.

Ça ne ferait qu’amplifier sa culpabilité, que le rendre encore plus redevable. Peut-être que c’était une fierté mal placée qui s’était développée avec le temps, et sans doute au contact de Tony, mais Steve n’aimait pas l’idée d’envoyer des gens au combat juste pour ses beaux yeux. S’il bénéficiait d’une telle opération armée, ce ne serait qu’en effet secondaire.

Quant au reste, que pouvait-il dire ? Il fixa Tony dans les yeux, cette fois, réfutant silencieusement le fait qu’il n’y aurait pas de tombe à son nom. Qu’il le veuille ou non, il devrait mourir un jour. Tony était juste trop peu courageux pour admettre qu’il ne voudrait pas être là pour la voir. L’ironie de la situation, c’était que Steve aurait dû mourir il y a bien longtemps de cela. Ou du moins, qu’il aurait déjà dû être mourant.

Il préféra ne rien dire à ce propos, ne voulant pas laisser Tony penser qu’il était d’accord avec lui à propos d’Ultron. Certes, ça avait été une belle connerie, et les meilleures intentions de Stark pavaient déjà son petit enfer personnel, mais Steve ne voulait pas qu’il se considère moins que ce qu’il était à cause de cela.

— Qu’est-ce que tu penses savoir du reste du monde ? Les gens n’ont pas besoin de moi, non, ils ont besoin du symbole, du costume. Je pourrais le donner à une doublure que ça ne changerait pas grand-chose… Toi, tu es…

Unique ? Le mot ne sortit pas. C’était trop étrange, trop gênant de dire une chose pareille dans l’intimité relative de la Tour Avengers. Steve s’éloigna presque imperceptiblement, détournant de nouveau le regard de quelqu’un qu’il estimait bien plus qu’il ne voulait l’admettre. Bien plus que cette personne ne s’estimait elle-même. Tony n’était pas exempt de problèmes persos, loin de là, mais Steve s’était toujours senti profondément incompétent et gauche pour en parler. En fait, il ne se sentait même pas aussi indispensable que Tony le pensait…

Tony secoua la tête. Pourquoi était-il aussi borné ? Bien sûr qu’il n’acceptait pas que l’on se sacrifie pour lui. Tony ne le supportait pas pour lui-même déjà. Qui aimerait après tout ? « Oui, parce que tu es trop poli pour ça. » cracha-t-il. C’était sorti tout seul, il n’avait même pas voulu le dire, n’était même pas sûr de le penser. Il le regretta tout de suite, entrouvrant les lèvres en levant son regard sur lui. « … Pardon. » Ce n’était pas contre Cap, il était simplement beaucoup trop tendu et crispé, trop en colère contre… Les merdes, le virus, Steve qui ne voulait pas comprendre. Mais comprendre quoi ? Son inquiétude ? Qu’il était plus important qu’il ne le laissait présager ? N’était-ce pas plutôt une envie égoïste, Tony ?

Oui ? Je suis quoi ? Dis-le… Tony le regarda détourner le regard et ferma une nouvelle fois ses yeux, passant une main lasse sur son visage pour détendre ses traits. Il était beaucoup trop à cran. Il avait mal dormi, le peu de sieste qu’il avait eu plutôt n’était qu’un cauchemar qui faisait douloureusement écho à la situation actuelle. Pourquoi ou qui s’amusait à le torturer ainsi ? Où est-ce que c’était marqué que c’était drôle ? De voir ce qu’il lui restait de famille morts, Steve également. Il aurait pu les sauver, c’était sorti de ses lèvres à lui. Ce n’était peut-être qu’une vision, une peur ancrée, mais cela avait été bien réaliste pourtant. Alors le voir maintenant sur la pente descendante… Et il n’avait rien vu, absolument rien.

Le génie inspira profondément. Ce n’était pas le sujet de la discussion, rien ne pouvait effacer les maux du monde avec des et si et des regrets. C’était à propos de Cap qui disait bienvenue au club de la mauvaise estime de soi. Et c’était bien le rôle de Tony de l’en sortir tant cela était possible. Après tout il l’admirait, plus qu’il ne le pensait lui-même, il connaissait ses bons côtés et ses défauts. C’était étrange dans un sens, mais cela ne déplaisait pas à Tony.

« Tu sais… » Commença-t-il en se léchant les lèvres et s’approchant doucement le regard pour le moment toujours au sol, ses bras s’étant détendus pour cacher ses mains dans ses poches. « Mon père, Howard… Racontait beaucoup – trop – de choses à ton sujet. » C’était mal à l’aise que Tony avait choisi ce sujet pour lui redonner foi en lui, mais c’était nécessaire, il pouvait bien mettre de côté ses problèmes trente secondes de côté pour lui. « Et même s’il en parlait souvent sous l’emprise de l’alcool, j’ai toujours vu une certaine admiration dans ses yeux et dans son récit. Comment tu es rentré dans le laboratoire, tout frêle, à deux doigt de mourir étouffé par une crise respiratoire. Mais déterminé, parce que tu savais que c’était le bon choix, la bonne chose à faire, que personne d’autre ne pouvait le faire à ta place. Il décrivait comment le sérum t’était injecté. Tu aurais pu en mourir, ça il me l’a avoué. Et tu hurlais… Tu hurlais… » Tony s’arrêta, se mordant l’intérieur de la joue et respira profondément pour se donner du courage. Il releva son regard pour chercher celui de Cap. « Mais tu n’as pas lâché, au contraire. Il me contait combien ta douleur n’était pas importante si cela pouvait apaiser les autres. Tu as forgé le costume, Steve. Sans toi, sans ce que tu es, le costume ne vaut rien, absolument rien. Certes il est le symbole, mais c’est toi qui l’a inspiré, tes actes et ton esprit qui ont marqué l’esprit des gens… »

Tony sentit sa gorge se serrer et une chaleur monter à ses joues qui rejoignit ses yeux à ces souvenirs. « Je n’ai jamais compris ce qu’il me racontait, jusqu’à ce que je te rencontre. Et j’ai compris que mon père n’était pas juste un connard parce qu’il était un connard. Qu’il ne buvait pas pour le simple plaisir, mais bien parce que tu l’avais inspiré, qu’il avait vu une bien meilleure personne en toi qu’en lui-même et que d’une certaine façon, oui il avait besoin de Captain America pour l’inspirer à rendre le monde meilleur. Et c’est par tes actes que tu l’as fait, Steve. Et tu lui manquais. Aujourd’hui n’importe qui pourrait reprendre le bouclier et les gens verraient la même chose, c’est vrai. Mais il ne serait rien aujourd’hui sans ce que tu as fait… Ce n’est pas juste un drapeau, Steve. C’est… un costume sur-mesure fait spécialement pour toi. »

Trop poli ? Pas vraiment. Ce n’était que de la mauvaise foi, la frustration de Tony qui parlait. Steve avait bien conscience que ses paroles avaient dépassé sa pensée, et il ne lui en voulait pas. Pas même s’il ne lui avait pas demandé pardon.

La suite le surprit plus qu’il ne voulait l’admettre. Tony se mettait à parler de Howard, remontant dans le même temps un fatras de souvenirs sur lesquels Steve avait pensé avoir mis une chape de plomb. Bien sûr, il avait eu des échos de ce qui était arrivé aux parents de Tony, en même temps qu’il avait eu des nouvelles de Peggy Carter et de tous ceux qu’il avait connu en cette époque si lointaine… Cela lui semblait être tout droit venu d’un monde parallèle, mais ce n’était bien sûr pas le cas : Tony était là pour s’assurer que Steve ferait le lien.

Entendre comment Howard avait sombré après son propre naufrage n’était pas une bonne surprise. Être renvoyé à ce jour où sa vie changea, ce n’était pas bien grave, mais d’imaginer ce qu’avait dû endurer ses camarades après sa disparition ne faisait que raviver la flamme de culpabilité qui sommeillait au fond du cœur. Ce n’était sûrement pas l’intention de Tony, c’était même tout le contraire, mais Steve était trop déstabilisé par sa nouvelle condition qu’il avait du mal à ne pas perdre pied.

— Ton père m’idéalisait. Et je vois que toi aussi.

Le soldat soupira. Il regrettait ces paroles, mais elles étaient sorties toutes seules. Tony, comme la plupart des gens, le mettait sur un piédestal : la chute n’en serait que plus violente.

— Désolé.

Tony n’avait pas eu la vie facile malgré ce qu’on pourrait croire, et Steve en avait bien conscience. Il le savait déjà avant cette conversation, mais il en prenait toute la mesure désormais. Lui aussi avait fini par sombrer dans l’alcool et la dépression, et s’il essayait de le cacher, il le faisait bien mal. Steve se sentit soudain de trop.

Un autre souvenir douloureux refit surface : la mort des parents de Tony. Steve avait deviné ce qu’il s’était passé,il avait additionné deux et deux et savait qui en était responsable. Enfin, c’était là un bien grand mot : pouvait-on parler de responsabilité quand il s’agissait de quelqu’un qui était manipulé et quasi sous hypnose ? Steve n’était pas d’accord. Mais, face à Tony, il gardait la mâchoire serrée et l’air vaguement désolé.

Steve n’avait soudainement rien à dire, ou rien d’intelligent du moins. Il venait d’annoncer à Tony qu’il crèverait sûrement s’ils n’allaient pas arracher le remède de Legacy des griffes de Magneto, et la conversation avait dérivé suffisamment pour le mettre mal à l’aise. Cependant, il ne voulait pas partir si vite, pas silencieusement, ou du moins pas sans montrer à Tony qu’il acceptait son soutien. Le soldat s’avança vers lui, et prit l’initiative de le serrer dans ses bras comme un ami, comme un frère.

S’il n’aimait généralement pas parler d’Howard, Tony s’était fait violence sur ce coup-là. Car Cap avait connu un homme bien différent que celui avec lequel le génie avait vécu durant dix-sept ans. Et que c’était à propos de Cap, pas de lui pour une fois. Quel chemin ces deux-là avaient parcouru… Un début électrique et une opposition clairement marquée entre les deux hommes. Et les voilà en train de s’excuser d’être à peine dur envers l’autre, contredisant aujourd’hui tout ce qu’ils s’étaient dit il y a des années. Tony avait détesté Captain America pendant longtemps après l’avoir adulé durant sa jeunesse. Pendant un moment il l’avait cru responsable de la mort de ses parents, qu’Howard était saoul ce soir-là. C’était plus facile, blâmer quelqu’un, faire le deuil. Mais nan, cela avait été un simple et banal accident. Une putain de malchance. Et c’était le plus dur à vivre avec. Ils étaient morts pour rien. Et voilà que Stark tentait de redonner confiance au porte bannière étoilé lui-même. On grandissait tous un jour, c’était ce qu’il se disait et Tony le cru à cet instant. Peut-être que c’était une épiphanie au fond. S’ils étaient aux antipodes l’un de l’autre, ils ne pouvaient plus reculer plus que cela, il ne leur restait qu’à avancer alors.

Tony ne réagit pas extérieurement à la remarque de Steve. Il n’aimait pas qu’on le compare à son père. Ça le foutait en rogne et il se mettait généralement à s’énerver à et se justifier par mille raisons pourquoi il ne serait jamais, ô grand jamais comme Howard Anthony Walter James Stark, cet homme qui lui avait plus de mal que de bien. Mais cette fois, il ne réagit pas. Parce que c’était vrai. En parlant de son père, indirectement il avait également parlé de lui-même. Tu l’avais inspiré, il avait vu une bien meilleure personne en toi qu’en lui-même et d’une certaine façon, oui il avait besoin de Captain America pour l’inspirer à rendre le monde meilleur. C’était lui, rien que lui… Tony tressaillit soudainement de manière presque imperceptible mais ne dit rien de plus. Il n’y avait rien à dire. Il gérerait cela plus tard.

Car encore une fois, Cap le surprit. En une seconde, Tony l’avait vu s’approcher et n’avait pas bougé parce que la raison avait peut-être foutu le camp, qui sait ?  Et voilà que Steve le serrait dans ses bras dans une accolade amicale qui dérouta Tony. Il se laissa d’abord faire, froid comme un poteau en manque d’affection et terriblement autiste de ses émotions, pas capable de gérer des marques d’affection qui lui étaient destinées. C’est qu’elles étaient rares. Puis finalement Tony abaissa légèrement ses épaules puis vint poser ses mains sur celles puissantes de Rogers, sans chercher à le repousser ou à se rapprocher. Il se mettait doucement à accepter que même Captain America pouvait parfois faiblir et cela lui fit peur un instant, un long moment, peut-être une dizaine de secondes, avant qu’il n’ouvre de nouveau les lèvres. « On va arranger tout ça, Cap. Comme on l’a toujours fait. J’en suis persuadé… » Est-ce qu’il parlait pour encourager Steve ou lui-même ? Ou peut-être les deux ? « Mais tu devrais te reposer, le temps que l’on trouve quelque chose, un plan. Ça suffit de cogner dans un sac… Tu te bas déjà assez. » Dit-il en attendant qu’il se recule.

Tony voulu le pousser gentiment de nouveau avec son poing et se trompa de main pour celle légèrement endolorie ce qui lui fit faire une légère grimace d’inconfort. Il changea alors de main qu'il secoua et de l’autre toujours gantée il le poussa gentiment sur le bras. « Aller, big guy. Tu vas t’en sortir. » Il l’espérait, il l’espérait sincèrement. Son sourire était faux et pas honnête parce qu’il ne croyait qu'à moitié son affirmation. Il y avait beaucoup à faire avant de lui sauver la vie. Et Tony n'était pas sûr de réussir.

Captain America n’avait pas l’habitude de montrer ses faiblesses. Il s’était toujours posé en homme fort, sur lequel on pouvait compter, que de le voir se reposer, ne serait-ce qu’un instant, sur quelqu’un d’autre pouvait effectivement paraître effrayant. Ce n’était pas dans les habitudes de Steve de câliner les gens (malgré ce qu’on pouvait parfois penser), mais là, il ne voyait pas quoi faire d’autre. Il n’y avait plus rien à dire, Tony ayant déjà été bien plus bavard qu’à son habitude. Parler de son père n’était pas facile pour lui, et ce n’était pas non plus aisé à entendre pour Steve… Ils avaient tous deux besoin de se rassurer. Au moins, ils seraient là l’un pour l’autre, comme le réaffirmait Tony.

— J’ai pas envie de me reposer. Faut qu’on monte un plan d’attaque, quelque chose… Et si je ne m’entraîne pas, je vais perdre mes réflexes encore plus vite, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de me montrer en état de faiblesse…

Il l’avouait désormais. Il était faible. Bientôt, il ne serait plus que Steve Rogers, le même que celui qui avait reçu le sérum. Et ensuite, il dépérirait totalement pour disparaître. Ce n’était pas forcément ce qui allait se produire, mais s’ils ne trouvaient pas une solution et qu’ils ne faisaient rien, ce serait le cas. Steve avait confiance en Tony pour se bouger les miches, mais restait à voir comment il le ferait. Il soupira.

Une idée germait au fond de son esprit, mais il refusait d’y accorder la moindre attention. Il ne se résoudrait à ce genre d’extrémités qu’en cas de coup dur, que si il était incapable de monter au front lui-même, et où avait-on vu un Capitaine qui n’était pas sur le terrain, avec les siens ? Steve n’avait jamais vraiment été un homme d’image, un homme de discours : c’était un homme d’honneur et d’acte, qui ne pouvait imaginer dire quelque chose sans le penser et sans le faire ensuite. Ce à quoi il pensait en ce moment… Ce n’était pas digne de lui. C’était faible.

— M’appelle pas comme ça, Tony.

Il s’éloigna lentement de son ami, avant de lui tourner le dos tout à fait et de retirer les bandages qui serraient ses mains. Le réconfort avait été de courte durée, et il ressentait déjà une gêne certaine. Il aurait voulu, très égoïstement, que Tony ne parle pas de ses parents, qu’il ne ressorte pas d’un passé que Steve pensait effacé ces souvenirs. Un nouveau soupir passa la barrière de ses lèvres.

— Ce que je t’ai dit, n’en parle à personne, ok ?

Le monde n’était pas prêt à entendre que Captain America n’était qu’un homme avec ses faiblesses ; pire encore, si cela devait arriver, Steve n’était pas sûr d’approuver les réactions du grand public, quelles qu’elles soient. Pour le moment, il préférait s’éclipser, retourner s’enfermer chez lui, dans un recoin de cette tour qui avait changé, en bien ou en mal, le paysage new-yorkais.